CF Evolution, mentor coach professionnelle

Aidants familiaux : quels impacts sur une organisation de travail ? Partie 2/2

" Vous ne pourrez évoluer à moins d'essayer d'accomplir quelque chose au-delà de ce que vous avez déjà réalisé. "
Ralph Waldo Emerson

Ronds de sables, représentant la prise en charge.

Partie 2/2 Le collectif : entre individuation, intégration et inclusion.

Rappel partie 1/1 du 2 juin 2019 : dans le cadre de mon activité professionnelle, je suis spécialisée dans le coaching de transition et de soutien. Sensible au sujet du handicap et de la maladie, je m’investis régulièrement dans des actions de formation, réflexion et professionnalisation. A titre personnel, je suis moi-même aidant familial. Ce regard croisé me semble intéressant pour étudier le sujet retenu. Au quotidien, je fais le constat de conséquences possibles dès la survenue d’un évènement majeur significatif, tels que la maladie, l’incapacité à travailler (temporaire, définitive) par exemple, quel que soit le niveau de proximité par rapport à l’évènement ou l’organisation. Une forte proportion de mes clients (de 30 à 75% en fonction des périodes) est confrontée au handicap ou à la maladie. L’exploration du contexte de l’individu au sens large (professionnel et personnel) permet une meilleure compréhension des enjeux, contraintes, aspirations, et leviers.

Il s’agit ici de retenir l’être humain (la personne), considéré isolément dans la collectivité ou communauté à laquelle il appartient. La sociologie cherche à expliquer les comportements des individus dans leur environnement et à comprendre les raisons de ces comportements. Aussi selon R. Boudon, ce sont « les bonnes raisons » qui poussent l’acteur à agir dans un contexte donné. Selon Lacaze et Perrot, les besoins des salariés se répartissent en trois domaines : le travail (accompagnement dans l’apprentissage du métier, accès à l’information nécessaire, équilibre vie personnelle/professionnelle) ; le relationnel (soutien, solidarité des collègues, accueil, rencontre avec les gens, bonne ambiance) ; l’organisationnel (connaissance et compréhension de la culture d’entreprise, adéquation ressentie avec l’ambiance générale dans les relations de travail). Si l’individu est en partie responsable de la réussite de son intégration, l’inclusion appartient davantage à l’entreprise et aux individus qui la composent.

Un décalage existe entre la perception des comportements et les comportements liés à une réalité. Un peu comme en communication lorsque l’émetteur envoie son message au récepteur. Une intégration peut être ratée par manque de temps pour s’investir dans la construction d’un lien social lors d’évènements professionnels en soirée par exemple (soins médicaux, présence pour aider dans le quotidien, pas de solution de garde, coût financier…) La réalisation d’une activité à l’extérieur permet de se ressourcer, la pratique d’un sport de se défouler : expression du besoin d’un espace pour soi sans lien avec le métier, le quotidien. Cela peut être assimilé à un des idéaux types de R. Sainsaulieu : l’individu s’investit en dehors du travail, pour peut-être compenser une situation personnelle difficile. Il peut s’agir également d’une contrainte imposée par la situation parce que la personne la perçoit comme un devoir, une obligation, jusque parfois s’interdire le moindre loisir (lien avec la compulsion externe selon G. Friedman).

P., à l’approche de la cinquantaine liquide son entreprise pour retrouver un emploi salarié. Avec quatre enfants à charge, dont un en situation de handicap, l’incertitude financière et la pression de l’indépendance, le besoin de sécurité l’emporte. Il évoque un retour en entreprise mal vécu, un sentiment d’échec et de renoncement. Un dispositif tel que le Compte Personnel de Formation renvoie à la responsabilité individuelle de la prise en charge de son parcours. Pourtant, il peut aggraver la perception de tiraillement entre le besoin ou la nécessité de s’investir dans la construction de son cursus professionnel et son incapacité matérielle à agir parce que la priorité est ailleurs. Par l’absence de réalisation de soi, il est impossible de ne pas faire le lien avec le sentiment d’aliénation décrit par G. Friedman.

Il s’agit d’un sujet majeur puisque 11 millions d’aidants étaient recensés en 2017, avec une prévision de 17 millions d’ici 2020 (Baromètre 2017 « Aider & travailler »). Si 85% des aidants n’ont pas eu le choix de devenir aidant, près de la moitié déclarent exercer une activité salariée. 60% des aidants sans emploi expriment avoir quitté leur emploi du fait de leur situation d’aidant. Et plus de 80% expriment un manque de reconnaissance sociale (Baromètre 2016 BVA / Fondation April). Un statut à part puisqu’il n’existe ni dans l’entreprise, ni dans la société. Une sorte de catégorisation est identifiée pour les salariés (cadre, employé, ouvrier…), les fonctionnaires et même les entreprises selon les effectifs ou l’activité (artisan, profession libérale, TPE, PME…), avec différents échelons et une progression visible dans l’échelle sociale. Mais quelle valeur sociale apporter puisque la mission d’aidant n’est pas reconnue et sans statut d’appartenance ? Le contexte est d’autant plus stigmatisant que les personnes concernées demandent des aménagements d’horaires ou réduisent leur temps de travail (cf. image ci-contre), dégradant sans doute un peu plus l’image renvoyée. La proportion du temps occupé à cette mission subie contrarie la notion de travail librement consenti, vecteur d’équilibre selon S. Freud. Le cumul de ces différents facteurs accentue le sentiment d’aliénation. L’individu fait face à une situation personnelle qui crée de la précarité dans son travail, dégrade son état de santé général (46% des aidants interrogés) et risque de provoquer un isolement malgré lui, alors qu’au départ il y a la volonté d’aider. Cela accroit parfois un sentiment d’injustice, d’inégalité, de colère, de frustration…

Identifier au plus tôt le risque de surcharge, de charge de travail et des sources de tension en raison d’absence ou retard est une piste pour améliorer les performances des salariés ou la cohésion d’équipe notamment. L’essentiel reste de sensibiliser et réfléchir afin d’apporter des réponses appropriées à un contexte donné.